La question mérite d’être posée : comment faire de l’individuel dans un groupe ? Ou autrement dit, comment favoriser l’individualité dans un groupe d’enfants ?
Dans le cadre de la petite enfance, le défi de favoriser l’individualité au sein d’un groupe d’enfants est au cœur des pratiques professionnelles. Comment pouvons-nous reconnaître et célébrer la singularité de chaque enfant tout en cultivant un sentiment d’appartenance et de cohésion au sein du groupe ? Comment faire cohabiter les rythmes individuels avec l’organisation de la vie en groupe ? Cet article vise à nourrir la réflexion sur vos pratiques professionnelles et à donner des pistes pour ajuster votre accompagnement et votre organisation.
En préambule, distinguons trois manières de vivre ensemble élaborées selon Laurent Bachler :
- La première se résume à être à côté des autres, à les supporter avec la politesse qui permet de tolérer les différences, mais sans vraiment nous lier à lui. Cette courtoisie empreinte de civilités nous permet d’éviter les conflits, d’économiser notre énergie et ne nous engage à rien. Elle convient parfaitement à l’individualiste. Il n’en reste pas moins que le vivre ensemble commence par l’apprentissage de la politesse.
- La deuxième manière fait que ce n’est pas parce que nous nous ressemblons ou partageons quelque chose en commun que nous pouvons vivre ensemble. C’est parce que nous décidons de vivre ensemble que nous partageons et reconnaissons le commun. C’est une forme de fraternité, lorsque l’expression de nos libres choix et décisions rejoint celle des autres, mais qui demande parfois le sacrifice de l’individu aux intérêts du groupe.
- La dernière nous fait faire le va-et-vient entre notre individu et le groupe en nous faisant maintenir la tension entre les deux. C’est la créativité qui, à la fois, nous permet de nous sentir vivre en tant qu’individu et nous relie au groupe.
[1] Bachler, L. (2021), Vivre ensemble, pour quoi faire?, In : Spirale no 95, pp. 45-56
Le va-et-vient entre notre individualité et le groupe reflète exactement ce qui se passe au sein des structures collectives de la petite enfance.
Dans une structure dédiée à l’enfance, qu’il s’agisse d’une crèche, d’une école maternelle ou d’un centre de loisirs, l’accent est souvent mis sur le bien-être et le développement de l’enfant au sein d’une collectivité. Cela signifie que l’expérience de l’enfant est d’abord vécue dans le cadre d’un groupe, où il interagit avec ses pairs et participe à des activités communes.
Cependant, il est crucial de reconnaître que chaque enfant est unique, avec ses propres besoins, ses forces et ses défis. C’est pourquoi, dans la mesure du possible, les professionnels de l’enfance s’efforcent d’accompagner chaque enfant de manière individuelle.
Pourtant, intégrer l’individualité au sein d’un groupe ne signifie pas sacrifier le sentiment d’appartenance collectif. Comme le souligne Jean Piaget, « Le respect de la diversité individuelle ne doit pas faire oublier l’importance de l’intégration sociale. » Ainsi, les activités collaboratives peuvent et doivent jouer un rôle crucial dans la promotion du sentiment d’appartenance au groupe.
Les moments individuels sont souvent entrecoupés d’activités de groupe où les enfants apprennent à travailler ensemble, à partager, à résoudre des conflits et à développer leur empathie. Ces interactions sociales sont essentielles pour le développement social et émotionnel de l’enfant, lui permettant d’apprendre les compétences nécessaires pour interagir efficacement avec les autres tout en affirmant son individualité.
Voici quelques pistes pour organiser des activités autonomes au sein d’un groupe :
- Espace de jeu libre : offrir aux enfants un espace de jeu libre où ils peuvent choisir leurs propres activités ; cela leur permet d’explorer et de développer leur individualité tout en interagissant avec les autres enfants.
- Activités d’art ou d’artisanat : proposer ce type d’activités aident les enfants à exprimer leur créativité que ce soit en peignant, dessinant, modelant ou en créant des collages. Une thématique commune peut être suggérée et les réalisations des enfants peuvent être présentées en groupe.
- Coin lecture et exploration : aménager un coin lecture permet aux enfants de choisir des livres, des puzzles ou des jeux éducatifs. Ils peuvent avoir un moment de lecture seul·e et ensuite partager au groupe les éléments qui les ont stimulés dans un livre.
- Jeux de rôle et d’imagination : mettre à disposition des costumes, accessoires et décors permet aux enfants de créer leurs propres histoires et personnages que ce soit seul ou en groupe.
- Activités de jardinage ou de manipulation : organiser des activités de jardinage permet aux enfants de développer leur sens et leur individualité tout en découvrant le monde qui les entoure.
En conclusion, faire de l’individuel dans un groupe d’enfants est un équilibre délicat, mais gratifiant à atteindre. En offrant des activités autonomes, en favorisant la coopération et en étant à l’écoute des besoins individuels, nous pouvons créer un environnement où chaque enfant se sent reconnu, valorisé et encouragé à être lui-même. Puissent ces réflexions guider nos pratiques professionnelles et enrichir notre accompagnement des enfants dans leur développement.