Enjeux et pratiques autour du lien d’attachement et de la cohésion d’équipe face aux ruptures en structure d’accueil
Pour les professionnel.le.s de l’enfance, le lien d’attachement est au cœur des pratiques quotidiennes. Dans le cadre de l’accueil collectif, ce lien ne se limite pas à la relation entre un adulte référent et un enfant, mais devient un collectif dynamique, mobilisant toute l’équipe pour garantir une sécurité affective partagée. Face aux ruptures fréquentes, souvent inévitables dans notre domaine, comment aller au-delà des pratiques de base pour instaurer une résilience collective et maintenir un climat sécurisant, même en cas de changements de personnel ?
Renforcer la sécurité affective au-delà de l’individuel
Si l’attachement individuel est une base solide, il est aussi indispensable de renforcer la dimension collective de l’attachement au sein de l’équipe. En intégrant chaque professionnel.le comme une « figure d’attachement secondaire », on permet aux enfants de tisser des liens sécurisants avec plusieurs adultes, diminuant ainsi l’impact d’une rupture avec un·e référent·e spécifique.
- Construire une identité collective sécurisante : L’équipe éducative doit incarner une cohésion, avec des pratiques uniformes et une approche commune qui libère des valeurs partagées. Ainsi, même en cas de départ ou d’arrivée, l’enfant retrouve une continuité dans les gestes, le langage et les rituels de l’équipe, offrant un sentiment de sécurité malgré les changements.
- Transmettre les nuances de l’attachement de chaque enfant : Il est essentiel que chaque professionnel.le de l’équipe comprenne les préférences, les signaux et les besoins émotionnels de chaque enfant. Plutôt que de se reposer uniquement sur le référent, instaurer des temps de transmission d’observations et de discussions autour des besoins spécifiques de chaque enfant permet d’assurer une prise en charge attentive et personnalisée, même en cas d’absence.
La cohésion d’équipe comme pilier de la résilience
La cohésion d’équipe est centrale pour traverser les périodes de changements et soutenir la stabilité affective des enfants. Un collectif fort et uni facilite la transition et permet de maintenir un cadre rassurant pour les enfants. Elle repose sur la confiance mutuelle, une communication ouverte et un engagement partagé envers les mêmes pratiques et valeurs.
- Se synchroniser autour des pratiques et du langage : Lorsqu’une équipe adopte des pratiques et un langage commun, elle crée un environnement harmonieux où chaque professionnel,le est en mesure de transmettre les mêmes repères aux enfants. Cette approche cohérente réduit l’impact des changements de personnel, car chaque adulte agit comme un prolongement de l’équipe, apportant des réponses alignées aux besoins des enfants.
- Partager les responsabilités d’attachement : Favoriser la responsabilisation collective en matière de lien d’attachement signifie que chaque membre de l’équipe se sent co-responsable du bien-être émotionnel des enfants, au-delà de sa position ou de son rôle individuel. Une équipe qui valorise ce type de collaboration permet aux enfants de se sentir en sécurité, même lorsque des figures spécifiques viennent à changer.
Instituer un rituel de « reconnaissance de rupture »
Lors d’un changement, l’enfant ressent souvent un flou émotionnel qui peut engendrer un sentiment d’abandon ou un repli sur soi. Chaque départ peut être l’occasion d’aider l’enfant à appréhender les ruptures de façon douce et respectueuse.
- Ritualiser les départs : Lorsqu’un adulte quitte la structure, il est utile de ritualiser ce moment pour en faire un acte de reconnaissance et de continuité. Par exemple, organiser un temps où les enfants peuvent partager un souvenir ou créer une « mémoire collective » autour de cet adulte pour préserver l’empreinte émotionnelle dans le groupe.
- Valoriser l’adaptation de l’enfant : Rendre l’enfant acteur de son adaptation, en l’encourageant à exprimer ses ressentis, renforcer sa résilience. Il est parfois utile de montrer symboliquement à l’enfant qu’il a la capacité de naviguer entre différentes relations d’attachement sans que cela ne diminue la sécurité de base qu’il ressent.
Renforcer la résilience individuelle et collective face aux ruptures
La résilience, tant au niveau individuel que collectif, est une compétence précieuse pour les enfants et les équipes qui les entourent. Elle permet non seulement de surmonter les changements et les ruptures, mais aussi d’intégrer ces expériences comme des étapes d’apprentissage et de croissance.
La résilience individuelle : renforcer la capacité d’adaptation de chaque enfant
Pour les enfants, la résilience se développe lorsque leur environnement soutient leur capacité à gérer les émotions, à comprendre les transitions et à retrouver un sentiment de sécurité après une rupture. Pour favoriser cette résilience individuelle, les professionnel.le.s peuvent :
- Encourager l’expression des émotions : Inviter l’enfant à exprimer ses sentiments autour du départ d’une personne référente, que ce soit par le jeu, les mots, ou le dessin, permet de libérer les émotions et de donner un cadre à ce qu’il ressent.
- Valoriser ses capacités d’adaptation : Faire comprendre à l’enfant qu’il possède les ressources pour s’ajuster à de nouvelles situations renforce son sentiment de compétence. Cela peut inclure des encouragements spécifiques, des rituels symboliques ou des outils visuels (comme des images ou des histoires) pour illustrer les cycles de changement et de continuité.
- Offrir des repères constants : La mise en place de routines et de rituels prévisibles, même en période de changement, aide l’enfant à se raccrocher à des éléments stables. Ces repères permettent de réduire l’incertitude et d’ancrer un sentiment de sécurité malgré l’absence d’une figure d’attachement spécifique.
La résilience collective : un soutien de l’équipe pour traverser ensemble les transitions
À l’échelle de l’équipe, la résilience collective est essentielle pour maintenir une continuité de l’accompagnement et une stabilité dans la prise en charge des enfants. La résilience collective se construit autour de la cohésion de l’équipe, de la communication et d’une vision commune de l’accueil :
- Construire une culture de la transmission et de la continuité : En favorisant une circulation fluide des informations sur les besoins et les particularités de chaque enfant, chaque membre de l’équipe devient porteur du lien d’attachement. Cette culture de la transmission évite que le départ d’un référent ne devienne une rupture radicale car les autres adultes connaissent les signaux et besoins spécifiques des enfants.
- Développer une communication ouverte et bienveillante : Lorsque chaque professionnel.le se sent écouté et soutenu au sein de l’équipe, il est plus à même de gérer les émotions liées aux départs et aux changements. Une équipe soudée peut partager ses ressentis, ajuster ses pratiques et se mobiliser pour atténuer l’impact des changements sur les enfants.
- Instaurer des rituels collectifs pour marquer les étapes : En faisant du départ d’un membre une expérience partagée, avec des moments collectifs de reconnaissance ou de symbolisation (comme un temps d’échange ou la création d’un souvenir collectif), l’équipe renforce sa propre résilience. Ces rituels renforcent la solidarité au sein du groupe et donnent aux enfants l’image d’un collectif stable, même en période de transition.
En renforçant cette résilience à la fois individuelle et collective, les professionnel.le.s construisent un cadre où chaque enfant peut traverser les ruptures de manière apaisée, soutenu par un collectif qui sait répondre à ses besoins. Ce processus participe également au bien-être de l’équipe, qui devient plus résiliente et mieux préparée aux défis de l’accueil collectif.
Une opportunité pour la résilience collective
Chaque changement de personnel peut ainsi devenir un moment d’apprentissage, non seulement pour l’enfant, mais aussi pour l’équipe. Lorsqu’on prend soin d’accompagner chaque rupture avec une approche qui favorise le sentiment de sécurité, on renforce la résilience individuelle et collective.
En insistant sur une approche d’équipe qui reconnaît l’importance de la continuité des liens, même en cas de rupture, et en s’appuyant sur une cohésion solide, nous instaurons un climat où la sécurité affective repose sur une dynamique collective. Ce climat, basé sur une sécurité relationnelle partagée, prépare mieux les enfants à naviguer dans un monde de relations changeantes, tout en respectant les valeurs de notre métier.