Le syndrome Coyote

Quand un “Bip-Bip” capte toute notre attention et nous fait oublier le reste.

Cet été, en lisant La théorie du bourgeon de Fabrice Midal, une image inattendue a retenu toute mon attention…: Bip-Bip et Coyote. Une métaphore à la fois drôle et parlante… qui m’a immédiatement fait penser au quotidien des professionnels.les de l’enfance.

(Petite parenthèse : pour celles et ceux d’une certaine génération, pas besoin d’explications 😅… pour les autres, une courte recherche sur YouTube s’impose !)

Sur le terrain, nous avons tous nos “Bip-Bip” : un enfant qui attire toute notre vigilance, une situation qui revient sans cesse, un parent ou un collègue qui mobilise énormément d’énergie. Comme Coyote, nous avons alors tendance à focaliser toute notre attention sur ce seul point… parfois jusqu’à l’obsession. Et pendant ce temps, le reste du paysage disparaît.

Les neurosciences nous rappellent pourtant que notre attention est sélective et limitée : quand elle se fixe trop fortement, elle exclut le reste. Mais ce n’est pas tout : notre cerveau a aussi tendance à vouloir confirmer ses croyances. Si nous pensons qu’un parent est toujours en retard, ou qu’un enfant a un comportement perturbateur, nous allons inconsciemment repérer surtout les signes qui vont dans ce sens, et négliger ceux qui contredisent cette impression. C’est ce qu’on appelle le biais de confirmation : le cerveau cherche à valider son scénario, plutôt qu’à voir la réalité dans toute sa complexité.

Dans la métaphore, Coyote est persuadé que toute sa vie a pour sens d’attraper Bip-Bip. Tout son génie, son énergie, ses inventions servent donc à confirmer cette croyance, alors que d’autres possibilités existent autour de lui.

Élargir son regard, c’est redonner de la place à la complexité du terrain. Dans une salle, pendant qu’un enfant capte toute notre vigilance, d’autres évoluent en parallèle : certains jouent tranquillement, d’autres testent leurs compétences, d’autres encore cherchent un contact. En recentrant notre attention, nous pouvons aussi voir ces dynamiques positives et les valoriser.

Élargir son regard, c’est aussi donner une chance aux solutions de surgir. Dans le dessin animé, Coyote déploie une énergie folle à inventer des stratagèmes pour attraper Bip-Bip. Mais tout est orienté dans une seule direction : la poursuite. Pendant ce temps, il ne voit pas qu’il y a d’autres chemins, d’autres opportunités. De la même manière, lorsqu’un enfant ou une situation devient notre « Bip-Bip », nous investissons énormément de ressources pour “résoudre” ce point précis, au risque de passer à côté d’autres pistes – parfois plus simples, parfois surprenantes, parfois déjà présentes autour de nous.

En élargissant notre regard, nous nous ouvrons à :

  • Des forces déjà existantes : un autre enfant qui peut inspirer, un parent qui apporte une clé de compréhension, un collègue qui propose une alternative.
  • Des petits indices : un détail dans l’attitude de l’enfant, un changement subtil dans le climat du groupe, un moment de calme qui peut être saisi.
  • Des solutions inattendues : une ressource qui n’était pas envisagée, une nouvelle organisation de l’espace, ou même un réajustement dans notre propre posture.

Cela ne signifie pas ignorer le “Bip-Bip”, mais éviter de s’y laisser happer entièrement. Comme un photographe qui change d’objectif, il s’agit de jouer avec les focales : parfois zoomer, parfois dézoomer. Ce mouvement est ce qui permet d’ajuster notre posture professionnelle.

Quelques pistes concrètes pour desserrer le piège « Coyote » :

  • Revenir à l’observation : prendre un temps pour observer, sans intervenir, et capter ce qui se joue autour.
  • Demander un regard croisé : inviter un.e collègue à partager son point de vue. Son regard révélera souvent autre chose.
  • Changer de focale : passer du comportement visible aux besoins ou émotions sous-jacents.
  • S’ancrer dans le corps : respirer, se recentrer, calmer l’urgence intérieure.
  • Relativiser dans le temps : se rappeler qu’une situation qui occupe toute la scène aujourd’hui n’est peut-être qu’un fragment d’un processus plus long.

Et vous : quel est le « Bip-Bip » qui capte aujourd’hui toute votre attention ? Et qu’est-ce que vous pourriez découvrir de neuf si vous élargissiez  votre regard ?